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Jérôme boissier : "La situation de la bilharziose en Corse est nouvelle, elle ne ressemble à aucune autre étudiée"

Mercredi 06 juin 2018

Jérôme boissier : "La situation de la bilharziose en Corse est nouvelle, elle ne ressemble à aucune autre étudiée"

La bilharziose urinaire a émergé en 2013 dans l’extrême sud de la Corse après plus de 50 ans d’absence sur le continent européen. En Corse, elle est due à un parasite hybride entre la souche humaine classique, Schistosoma haematobium et la souche bovine, Schistosoma bovis, qui avait été décrite sur le cheptel bovin insulaire dans les années 60. Le parasite a depuis été à l’origine de plus de cents cas humains dont l’origine semble, pour l’heure, toujours là même, une baignade dans le fleuve du Cavu (Sainte Lucie de Porto-vecchio).

Le Professeur Jérôme Boissier est enseignant chercheur à l’Université de Perpignan, et son laboratoire (IHPE, Interaction Hôte-Pathogènes-Environnement) est référent pour la bilharziose auprès de l’OMS. Depuis 2014, avec son équipe, il mène l’enquête épidémiologique sur les bords du Cavu. Il nous explique dans cet entretien la singularité de la situation corse par rapport à cette maladie habituellement tropicale et sa conviction sur l'existence de réservoirs humains et/ou animaux en Corse.

 

Quelle a été votre réaction en 2014, quand on vous a annoncé que des cas de bilharziose humaine avaient été identifiés en Corse ?

 

Je travaille sur les bilharzioses en Afrique sub-saharienne et en Amérique du Sud depuis plus de 20 ans. Lorsque j'ai appris qu'il y avait une suspicion de bilharziose en Corse j'ai d'abord souri, je pensais à une plaisanterie! En effet, je n'avais même pas connaissance que le mollusque responsable de la transmission de cette parasitose était présent en Corse (et plus largement en Europe du Sud). La bilharziose est un gros problème de santé humaine dans les pays du sud avec plus de 200 millions de personnes infectées dans le monde et 250 000 morts par an. Nos regards sont bien sûr portés sur ces parties du globe. Rapidement nous avons identifié le mollusque vecteur de cette maladie (le bullin, Bulinus truncatus) en densité importante dans le fleuve du Cavu. Il est difficile de dire si cette densité est la résultante d'un réchauffement des rivières sous l'influence d'un réchauffement global du climat, car nous n'avons pas de mesure historique.

L'apparition de cette parasitose sous nos latitudes fut une surprise et beaucoup d'aspects liés à la biologie du parasite sont inconnus. Par exemple, la capacité du parasite à résister à de basses températures n'a jamais été étudiée. Même si les températures des rivières corses sont agréables, elles sont bien inférieures aux températures des eaux en zones tropicales. En hiver, la température du Cavu descend à 7-8°C ce qui est impossible en zone tropicale. L'ironie de la situation est que les spécialistes de la bilharziose s'intéressent aujourd'hui à l'évolution future de la maladie dans un contexte de réchauffement global et  tentent de répondre à la question : que va-t-il se passer dans l'avenir avec l'augmentation des températures ? Personne n'avait prévu que sous l'influence du changement global cela pouvait se traduire par une baisse des températures pour un parasite qui monte en latitude !

 

Quelle est la situation actuelle de la bilharziose en Corse ?

 

Après de nombreux cas détecté en 2014 avec baignade en 2013, le fleuve a été interdit à la baignade en été 2014. Malheureusement, dés la réouverture en 2015 de nouveaux cas ont été contractés. Très récemment d'autres cas avec baignade en 2015 et 2016 ont également été identifiés. Il est important de préciser que le diagnostic de cette maladie est délicat. Deux personnes sur trois ne présentent pas de symptôme caractéristique de la bilharziose et peuvent être diagnostiquées positives plus d'un an après le contact avec une eau contaminée.

Avec une persistance entre l'été 2013 et l'été 2016 (4 ans) il est impossible que les mollusques positifs soient les seuls responsables de la contamination. En effet, un mollusque parasité ne peut vivre aussi longtemps. Cela suppose donc un réensemencement par l'autre hôte du parasite qui est obligatoirement un mammifère (homme ou animal).

 

 

Pourquoi la maladie se cantonne à la région du Cavu, n’y a-t-il pas d’autres zones propices sur l’île ou plus largement en France continentale ou en Europe ?

 

Il est difficile de répondre à cette question mais il semblerait que sur l'île, le fleuve du Cavu abrite une population particulièrement dense de bullins. Encore une fois, nous manquons de connaissances à ce sujet sous nos latitudes. En effet, l'écologie de ce mollusque a été étudiée en zone tropicale du fait de son importance dans la transmission de la bilharziose mais aucune étude similaire n'a été faite en zone tempérée. Qui s'intéresse aujourd'hui à la vie des petits mollusques d'eau douce ? Nous ne connaissons pas les variables environnementales (pH, température, débit, etc.) qui permettent ou empêchent le développement de ce mollusque. Certaines personnes pensaient que les fortes crues printanières que pouvaient subir le fleuve était un moyen de se débarrasser des mollusques mais il ne faut pas oublier que les conditions en zones tropicales peuvent être bien plus drastiques avec des crues très violentes lors de la saison des pluies et des périodes extrêmement sèches, et pourtant les mollusques d'eau douce sont toujours là.

 

Quel pourrait être le rôle des animaux dans l’épidémiologie de la bilharziose avec ce parasite corse hybride ?

 

C'est une question importante surtout qu'à l'heure actuelle nous sommes convaincus qu'il existe un réservoir humain et/ou animal. L'hypothèse du réservoir humain (local, voyageur, touriste venant dans la même zone…) semble être privilégiée cependant le caractère hybride du parasite sème le doute. En effet, Schistosoma haematobium est spécifique de l'homme par contre Schistosoma bovis a un spectre d'hôte un peu plus "flexible". Ce parasite à une forte préférence pour les ruminants : bovins, ovins et caprins mais a déjà été identifié dans des rongeurs. Une large enquête sérologique portant sur plus de 3 000 animaux de la zone du Cavu (ovins, bovins et caprins) n'a pas permis d'identifier d'animaux positifs. Cette étude était financée par l'ANSES et menée en collaboration avec l'école vétérinaire d'Alfort, l’INRA de Corte ainsi que le Docteur Ana Oleaga (une spécialiste de S. bovis en Espagne). Il semblerait donc que la bilharziose bovine ait disparu de Corse-du-Sud ou alors passerait sous les radars. Rappelons la difficulté de dépister une bilharziose humaine qui peut demander un triple test (Elisa, IHA et Western Blot) et aucun abattoir, y compris en Afrique, ne vérifie la présence de ce ver de 1 cm dans les veines mésentérique d'un bovin.

L'identification en novembre dernier au nord du Sénégal de rats porteurs de la même souche du parasite que celle trouvée en Corse a également semé le doute sur le rôle que pouvait avoir ce petit mammifère dans la persistance de la maladie. Une première campagne de piégeage menée en 2015 n'a pas permis d'identifier de rats positifs mais au vu de ces derniers résultats au Sénégal nous revenons effectuer un piégeage en mai-juin 2018 en bordure du Cavu.

 

Une Corse sans bilharziose, est-ce imaginable à court terme ou la parasite est-il implanté pour longtemps sur l’île ?

 

La situation est prise très au sérieux par les tutelles en charge de la santé en particulier l'ANSES et l'ARS de Corse qui finance un grand nombre d'actions pour venir a bout de cette épidémie. Il faut considérer que la situation est nouvelle, elle ne ressemble à aucune autre étudiée dans les zones d'endémie. Ce que l'on sait est que seules les approches intégrées faisant intervenir tous les acteurs de l'écologie, de la santé humaine, de la santé animale, de l'éducation ou des acteurs des politiques publiques apportent des solutions pour éradiquer les foyers de bilharziose.

 

SGA